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Esprit lavé
Partir loin des turbulences et des vicissitudes d’une vie qui se bat pour rester clean. Aller respirer cet air archaïque mais pur qui souffle encore sur les paysages vendus en cartes postales pour touristes en fin de vie. Retrouver les odeurs et les senteurs d’une gastronomie aux frontières des équilibres nutritionnels. S’oublier dans l’anonymat observé par les regards curieux des autochtones à la terrasses des cafés communs. Sentir l’identité « gaouri* » venir colorer mes traits fatigués et blafards de citadin en mal d’authenticité.
L’envie de, simplement, redevenir citoyen d’un pays dont l’écorce craquelle sous les tempêtes médiatiques qui dégoulinent des paraboles fixées comme des trophées de civilisés. Je revendique le retour à mes racines en m’accrochant à ce qui fait l’originalité d’un individu. Racines qui s’empêtrent dans les entrailles d’un univers qui s’homogénéise doucement. Les blasés des cultures numérisées reviennent à l’aspect crasseux de nos régions reculées et les étourdis de nos salons colorés s’acharnent à vouloir s’échapper par les lucarnes qui regardent l’outre atlantique. Comme une tour d’ivoire transparente, ceux qui sont dehors veulent y entrer et ceux qui sont à l’intérieur veulent s’en échapper.
Des fois, je le confesse, on est parfois apatride dans notre cher MAROC mon ami Nourr Edine
Là bas, au pied des dunes majestueuses, l’insecte rampant compte les grains de sable ocre et chaud. l’animal à bosse mâche son « chewing gum » de paille en observant la française qui étouffe de chaleur. mes tangues s’enfoncent dans la poussière des siècles qui dessinent des chemins imaginaires. L’air sec et pur taquinent mes poumons corrompus par l’iode et le fuel de la capitale au bord de l’océan. Mes cheveux abîmés par l’atmosphère humide des résidences, retrouvent leur jeunesse et dans le regard du touareg qui me prend pour un portugais, je ne retrouve plus cette suffisance qui intrigue l’étranger sans l’atteindre. L’occident envahit l’orient et frelate son innocence. Dans le combat invisible des civilisations qui s’affrontent, les uns reviennent à l’âge de la pierre pour se retrouver et les autres s’obstinent à croire que le paradis existe au delà des frontières.
Les images défilent dans le cadre de mon objectif, je les fige et les conserve pour plus tard et j’avance au milieu du tourbillon qui naît sous les pattes agiles de ma chienne espiègle. Chaque arbuste, ici, me rappelle mes jeunesses perdues, chaque semblant de rue me ramène à la fraîcheur des sourires de ma mère qui protégeait mes fugues et mes promenades. L’envie des odeurs de sa cuisine immuable, les bruits et la présence de ses rires rassurants et rassurés, les regards complices qu’elle cachait à mes frères, ses silences pour écouter les vannes que moi seul, pouvait oser, la richesse des paroles qu’elle me destinait ou le respect profond qu’elle nourrissait à ma quête curieuse pour le savoir de la grande ville qui la faisait rêver: C’est cela, l’apprentissage de la liberté qu’elle m’enseignait au delà du savoir sourire quand le visiteur s’évertuait à vouloir s’écouter, quand elle savait que mes oreilles se fermaient aux nouvelles vaseuses qu’il colportait. Avec son air de ne pas vouloir interrompre le verbe inutile, son bras s’élevait avec l’élégance héritée pour faire écumer le thé et dégager l’odeur de la menthe dans la pièce, le petit doigt indiquait l’horizon des femmes qui savaient exister et quand elle me tendait le verre chaud, le monologue imbécile devenait médiocre. Aux coins de ses lèvres, le sourire narquois effaçait ma colère et j’oubliai, sans m’en rendre compte, que la visite n’était que fugace et temporaire.
C’est cela que la vaste virginité du désert me rappelait et c’est là que j’entrevois la tradition du pays qui dessinait mes envies et mes fantasmes. Civilisé ou formaté à la manière de je ne sais quelle culture, il demeure en moi, le Maroc qui délire, celui que l’on vient chercher, celui que le guide de Michelin ne saura jamais décrire et qui se moque des paragraphes acerbes du Routard qui s’égosille, comme un corbeau, entre le tourne dos et le champagne.
* gaouri=étranger
La luciole ou mirage de l’amour
Il avait l’habitude, chaque soir, au soleil couchant ,de venir, avec son burin et son marteau, ciseler les mots, dans le silence de la campagne. De loin, on entendait le bruit du marteau sur la pierre. Le rythme était régulier voir entraînant. Les fleurs et les insectes s’étaient habitués à cette percussion presque naturelle surtout, quand il se mettait à déclamer les vers qui tombaient comme une musique, à la fois, douce et vivante.
Un soir, au loin, dans le ciel étoilé sans lune, une petite lumière apparut. C’était une luciole. Elle resta d’abord immobile comme intriguée par cette ambiance orchestrée par un seul homme.
Le marteau sur le burin et le burin sur la pierre qu’il transformait en mots et sa voix, dans le silence de la campagne.
Il continua son travail tout en observant celle petite lumière qui, comme apprivoisée, se mit à bouger au rythme de l’outil sur la pierre. Il essaya de ne pas interrompre le rythme de ses coups. La luciole alla de gauche à droite et de droite à gauche. D’abord en demi ton puis en quart et, de plus en plus vite, jusqu’à évoluer dans le ciel en traçant des arabesques au rythme du marteau sur la pierre. Cela dura un bon moment. L’homme fasciné par le spectacle et la luciole grisée par le rythme.
Chaque soir, dès que le soleil cessait de brûler l’horizon, l’homme s’installait, préparait sa pierre et ses outils et attendait la nuit noire. Au début, il commençait toujours, avec un rythme lent comme pour signaler sa présence et quand la luciole apparaissait, il enchaînait mot sur mot jusqu’à ce que la petite lumière traça, par dessus les étoiles, des arabesques étranges et de plus en plus belles. La campagne semblait figée sous le charme de cette complicité surnaturelle.
Plusieurs jours, plusieurs soirs passèrent ainsi. A chaque fois le ciel se transformait en spectacle de sons et de lumière jusqu’au jour où, loin, là bas derrière l’horizon, apparurent d’autres lueurs. L’homme savait que c’était les lumières de la ville qui fêtait son festival. La première fois, la luciole apparut et exécuta sa danse de lumière mais, quand, aux lueurs lointaines,, s’ajoutèrent les sons des tambours, trombones et violoncelles, la luciole, comme intriguée, se figea. elle semblait tendre l’oreille. L’homme s’arrêta de graver la pierre et attendit la suite. La luciole dans une courbe gracieuse fila avec une vitesse incroyable vers les lumières de la ville et disparut.
L’homme resta immobile, à la fois triste et surpris. il voulut se remettre à tailler la pierre mais quelque chose l’en désobligeait.
Le lendemain, à la même heure et toujours selon sa nouvelle habitude, à la nuit tombée, l’homme se prépara à réveiller le miracle que la luciole et lui, opérait chaque soir. Au loin le festival, qui durait toute la semaine, battait son plein. Il frappa quelques mesures, avec le cœur plein d’espoir. Un instant la luciole apparut, elle s’éleva dans le ciel, sembla faire un vol vers lui, elle se figea un instant puis s’envola dans une courbe qui l’entraîna vers les lumières et les bruits de la ville. L’homme tailla quelques mots encore mais son cœur n’y était plus.
Le troisième jour, à la tombée de la nuit, il tailla un mot puis deux mais aucune lumière n’apparut. il resta à tambouriner sur la pierre jusque, tard dans la nuit. La luciole avait disparu. Il rangea ses outils, le cœur lourd et, sortit sur le pas de sa porte. Les gens revenaient du festival, criant et chantant. Au milieu d’une famille, il remarqua une lumière. Il la fixa jusqu’à ce qu’il se rendit compte qu’elle venait d’un bocal qu’un enfant tenait entre ses deux mains. Il comprit que c’était « sa » luciole perdue. L’enfant, qui l’avait enfermée, riait aux éclats, fier d’avoir réussi à emprisonner sa lumière !
Une larme tomba, chaude, sur la joue de l’homme qui gravait les mots. Il baissa la tête, se retourna et rentra chez lui. Son bonheur avait été et ne sera plus, même avec toutes les lucioles du monde entier.