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Marocain
Je vais peut être étonner certains, d’autres y verront la grosse tête mais qu’importe quand ce dont je me préoccupe vient de cette obscurité qui date de plusieurs années, quand je n’étais qu’enfant et que, pour moi, il n’y avait qu’une terre, celle que j’aimais à parcourir en courant dans les champs colorés de coquelicots. Il n’y avait pas d’autres pays que le mien et c’est ainsi que j’en ai fais l’unique et le seul, où mon cœur peut battre. C’est de là que vient ce qu’on ose appeler « marocanité ». Cette assurance et garantie que le sol que foulent mes pieds est mien et personne, au grand jamais, ne pourra me l’enlever ou m’en exclure. Plus encore, quand, en grandissant, j’y ai acquis des habitudes, installé des repères et dessiné le visage qui, au fur et à mesure que j’apprenais à vivre, s’est enrichi de couleurs, de nuances et de structures. J’ai appris qu’un homme, un vrai se doit d’être libre, sans rien devoir à personne. Libre non de se comporter comme un sauvage mais comme un être qui ne vit pas seul sur une île déserte mais au sein d’une communauté d’hommes et de femmes qui, pour l’éthique et la justice, naissent, tous, libres et égaux.
Aucun, à mes yeux, ne peut prétendre être né pour contrôler les autres. C’est la base même de la citoyenneté. Ce qui fait la différence entre les citoyens, ce n’est ni la piété, ni la fortune ou l’origine mais ce à quoi on peut être utile car mon pays est un navire sur une mer enragée. Du moussaillon au commandant, chacun est important. Un seul qui défaille et le risque du naufrage devient imminent. Les discours à n’en plus finir ne servent à rien. C’est ce que chacun est capable de faire qui compte. De l’éboueur au médecin, du vendeur de menthe au chauffeur de bus et du policier au ministre, tous, ne sont, en fait, que les serviteurs du pays. Il n’y a ni études supérieures, ni études inférieures, il y a l’apprentissage et la formation pour que chaque acte soit utile.
Cet esprit de citoyen, fier de posséder une carte d’identité nationale, ne vient pas dans les gênes, il s’apprend. Il y a l’exemple des parents qui placent l’amour du pays au dessus de toutes leurs ambitions, il y a l’école qui explique, définit et détermine les droits de tous et de chacun et il y ceux qui ont mérité d’être les représentants du peuple qui se doivent de respecter leur missions. Ils ne sont pas élus pour changer la façon de vivre des marocains mais payés pour résoudre leurs problèmes.
C’est la seule conviction dont je peux être sûr. Personne ne pourra venir me montrer comment vivre et s’il faut aller jusqu’au martyre, je préfère mourir marocain que vivre comme un saoudien !
Nous se sommes pas entre Istanbul et Damas,
Mon pays n’est pas tourné vers la Mecque pour seulement prier, il est assis par terre, sur « lahsira » et derrière son attirail du rite du thé, il regarde l’enfant qui revient de l’école à des kilomètres de là. Il nettoie et chauffe la théière et dans un geste gracieux, la vide dans la poussière. Une bonne poignée de thé ramené de Dakhla qu’il lave et détend à l’eau bouillante et la douce menthe, verte et vierge du petit champ que sa femme cultive. Avec le fond d’un verre « Hayati » il brise le pain de sucre et choisit un morceau avec lequel il enfonce la menthe dans la théière. L’épouse attentive aux siècles de traditions dans les gestes de son homme, s’approche, prend la bouilloire au fond noirci par les braises. Il lève ses yeux vers elle et dans leurs regards, des nuits de complicité qu’on tait par pudeur. Elle remplit la théière et s’éclipse vers son royaume. L’enfant entre, se penche sur son père, lui embrasse la tête et prend place en face du spectacle de l’adulte qui le rassure.
Nous ne sommes pas au XIII° siècle, entre Istanbul et Damas, ballottés par les délires d’Ibnou Taymiyya, nous sommes quelque part, dans ce Maroc paisible, au fin fond des plaines couvertes de blés tendre et dur. le fquih survit au rial donné chaque jour et chaque jour multiplie son solde quotidien. 2, le lundi, 4 le mercredi… Jusqu’au vendredi où chaque famille, à tour de rôle, l’invite au couscous fumant avec ses sept légumes.
Nous ne sommes pas entre Istanbul et Damas, au XIII° siècle pour écouter parler ceux qui idolâtrent le sang et la mort et se vantent de porter le paradis dans leur cœur. Ceux qui crient qu’être en exil, c’est faire du tourisme ou que la geôle est un point de recueillement. Ceux qui pensent arriver au pouvoir ou mourir et devenir martyre…
Nous sommes le peuple qui respecte le silence des morts et quand vient l’appel du muezzin, certains ont fait leurs prières. Dieu ne fixe à personne rendez-vous et ne favorise point le barbu sur les autres pour s’être négligé d’être commun. Dieu ne voit pas mieux la femme sous le voile comme il ne se préoccupe point de ceux qui l’adorent ou ceux qui l’ignorent.
Nous sommes un peuple qui a choisi le droit sur le discours avec des sourates comme virgule. Notre foi est celle qui efface les inégalités entre les hommes et les femmes, celle qui, au contraire de celle qu’on affiche, dirige, en nous, la solidarité et le respect.
Mon peuple connaît Dieu de père en fils, bien avant que le monde musulman ne sombre dans la folie qui, aujourd’hui, ravage des peuples et brûle des contrées entre Istanbul et Damas au XXI° siècle !
Un texte empreint de respect.